[Sources et liste des signataires en bas de page]
Depuis le 1er janvier 2022, la loi interdit les emballages en plastique des fruits et légumes. L’industrie plastique n’a cessé de se battre contre cette disposition et est en train d'obtenir gain de cause : la mesure risque vite de devenir une promesse vaine rendue inopérante par de trop nombreuses exemptions. Cette lettre est là pour rappeler à l’industrie que la société civile comme les pouvoirs publics attendent mieux de leur part.
Pourquoi faut-il agir maintenant ?
Nous, associations de consommateurs et consommatrices, citoyens et citoyennes, ONG de protection de l’environnement, parlementaires et scientifiques, souhaitons vous adresser toutes nos félicitations : il semblerait que votre mobilisation ait payé. Grâce à vous, la France risque une nouvelle fois de connaître un recul sur une réglementation pourtant emblématique et pionnière, à savoir la fin de la vente de fruits et légumes sous plastique.
C’est à un combat acharné de votre part que nous avons pu assister depuis l’adoption de cette mesure par l’Assemblée nationale. Le 29 novembre 2019, les député·es ont voté l’interdiction d’emballages plastiques pour les fruits et légumes vendus en supermarché (sauf exceptions) à compter du 1er janvier 2022. Dans le courant du mois de décembre qui a suivi, vos fédérations se sont émues contre une mesure « déraisonnable » d’après Plastalliance, s’inscrivant dans la « surenchère à l’interdiction de produits en plastique à usage unique » pour Elipso. Votre lutte ne faisait cependant que commencer, puisqu’un décret devait venir préciser la disposition en fixant une liste de fruits et légumes exemptés du sevrage plastique.
C’est au Conseil national de l’alimentation (CNA) qu’ont échu les travaux préparatoires relatifs à ce décret, organisme d’habitude reconnu pour les positions consensuelles auxquelles il parvient à aboutir. Malgré tout, vous avez été incapables pendant les discussions du moindre compromis avec la société civile, représentée par les associations de consommateurs et consommatrices et les ONG environnementales. N’ayant de cesse de défendre les intérêts que vous estimiez menacés de vos secteurs d’activité, vous avez proposé des exemptions pour littéralement chaque fruit et légume examiné par le groupe de concertation. Le bon sens réclamait pourtant une mise en œuvre généralisée du principe d’interdiction : dès lors qu’une catégorie de fruits et légumes est déjà substantiellement vendue en vrac en supermarché, il est contre-productif de vouloir l’en exempter. Une dérogation à l’interdiction de plastique pour des pêches et nectarines d’ores et déjà achetées à plus de 70 % en vrac ne fait pas sens. Cela n’a pas été votre ligne, et c’est ce qui a conduit à l’adoption par le CNA d’un avis à deux vitesses, entre l’envie d’avancer d’une société civile qui a gardé en tête le principe de réalité, et des filières économiques et industrielles qui ne souhaitaient manifestement pas faire preuve de bonne volonté.
Vous n’avez cessé de continuer à « réclamer des aménagements » pendant la concertation préalable à la rédaction du décret. Sensibles à vos doléances, les pouvoirs publics ont établi une liste d’exemptions à levée progressive par le décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021.
Cela ne vous a pas suffi. Vous avez attaqué le texte en justice, Interfel regrettant une mesure prise « sans concertation préalable avec la filière professionnelle » ; Elipso déplorant un décret qui « [va] bien au-delà des dispositions définies [dans la loi] » ; Plastalliance en profitant pour rappeler qu’elle « n’a jamais soutenu ou cautionné les objectifs attentatoires à l’industrie plastique de l’emballage ».
Vous avez finalement obtenu gain de cause : la rapporteure publique vous a donné raison le 14 novembre dernier en recommandant « l’annulation totale » du décret. À la suite de cet avis, le Conseil d’État a invalidé le texte. Un nouveau projet de décret a été mis en consultation par le ministère, avec un risque non négligeable de travail de sape de votre part, qui pourrait mener à une liste d’exemptions longue… et pérenne.
Tout du long de l’élaboration de cette mesure, vous vous serez placés en porte-à-faux vis-à-vis des citoyens et citoyennes qui souhaitent pouvoir consommer des fruits et légumes frais sans inonder leurs poubelles de plastique à usage unique. 83 % des Français·es pensent que la réduction du plastique à usage unique doit être une priorité. Pour ce faire, elles et ils estiment qu’il faudrait éliminer complètement ou à tout le moins limiter autant que possible l’utilisation du plastique.
Cette attente citoyenne s’est retrouvée au cœur des préoccupations exprimées par la Convention citoyenne pour le Climat, qui s’est prononcée dans sa proposition C3.1 pour le développement du vrac. Ce mode de distribution est déjà majoritaire pour les fruits et légumes, qui ne sont « que » 37 % à être vendus sous emballages. Cela représente néanmoins 2,8 millions d’emballages plastiques annuels – un chiffre qui a augmenté de 22 % depuis le début des années 2000. Le secteur des fruits et légumes est ainsi responsable de la production et de la mise aux ordures de près de 20 000 tonnes de plastiques par an.
Nous parlons bien ici de ce plastique qui, tout « fantastique » qu’il est, sera à l’origine de 53,5 milliards de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre en 2050 de par sa seule production. Ce même plastique inonde les océans de quelque 10 millions de tonnes par an ; 54 des 120 espèces de mammifères marins menacées identifiées par l’UICN se retrouvent à en consommer ou se coincer dedans. Les êtres humains ne sont pas en reste : nous en ingérons jusqu’à 5g par semaine. 20 000 tonnes de plastique par an, c'est autant de microplastiques qui pénètrent nos organismes.
D’après les fédérations de fruits et légumes, 80 % de la filière serait en conformité avec la mesure. Qu’attendons-nous alors pour aller dans le sens de l’histoire et réduire notre recours aux emballages plastiques ? Qu’attendez-vous ?
Nous, associations de consommateurs et consommatrices, citoyens et citoyennes, ONG de protection de l’environnement, parlementaires et scientifiques, prenons acte de l’annulation du décret et de la menace que vos actions font peser sur la lutte contre le fléau plastique. Nous serons au rendez-vous pour élaborer un texte qui reste ambitieux face à l’urgence environnementale comme aux attentes citoyennes. Le serez-vous ?
Comment elle sera remise
Envoi aux destinataires par mail le 19 décembre 2022